Promenade dans les hutongs
Les dimanches se suivent et ne se ressemblent pas. Aujourd'hui, 20 novembre, le ciel est particulièrement bleu mais le froid très vif. Depuis 24 h, nous avons basculé dans l'hiver pékinois. Un coup de vent a balayé les nuages, les dernières feuilles sont tombées, le ciel est devenu très bleu et les températures ont chuté de façon spectaculaire. Hier soir, nous sommes rentrés tard dans la nuit et, pour la première fois, en 6 ans nous avions un ciel étoilé, fait rarissime à Pékin. Cet après-midi, pour profiter de cette atmosphère lavée de toute pollution, nous sommes donc partis à pied, dans les hutongs, à la recherche de ces petits détails qui définissent le statut des anciens propriétaires des lieux.
Les hutongs constituent un quadrillage de passages étroits et de ruelles qui dissimulent aux regards les résidences traditionnelles chinoises. Elles recèlent toute l'âme pékinoise mais, malheureusement, la ville frappée d'une fièvre urbaine sans précédent, détruit sans arrière pensée ces vieux quartiers si riches au plan historique. Alors, il faut en profiter car il en reste de moins en moins.
De ces anciennes habitations, nous voyons d'abord les entrées. Mais si l'on décode l'essentiel des petites marques du passé, on a une indication très précise sur les personnes qui vivaient à cet endroit avant la Révolution Culturelle. Depuis, les gens du peuple ont été logés dans ces demeures et, de fait, beaucoup de choses ont disparu ou ont été transformées. Il faut donc se dépêcher pour apprécier tous ces petits détails qui font la richesse des hutongs.
Nous sommes tout d'abord partis à la recherche des pierres de seuil. Elles sont présentes par paire à l'entrée de tous les siheyuan, habitations avec une cour carrée autour de laquelle s'organisent quatre corps d'habitation. Ces pierres de seuil sont en grès ou en marbre, quadrangulaire pour les civils et circulaires pour les militaires.
Elles sont toutes décorées et sont d'inspiration bouddhiste ou taoïste. Mais elles peuvent aussi représenter une aspiration particulière.... Ainsi, ce petit singe essayant d'attraper des fruits sous un arbre exprime le souhait du propriétaire de la maison d'accéder à un poste supérieur.
Autres exemples de pierres de seuil :
La fleur de lotus, symbole bouddhiste, représente la pureté.
La roue de la vie -à droite- représente la loi bouddhique.
A noter que ces pierres de seuil étaient toutes, à l'origine, surmontées de lions ou de griffons (animal mythique) mais elles ont été presque toutes systématiquement mutilées pendant la Révolution culturelle comme on peut le voir sur les photos ci-dessous.
Nous avons ensuite cherché des poteaux d'attache pour les chevaux. lls sont placés de part et d'autre de la porte d'entrée. Comme le nom l'indique, ils permettaient aux cavaliers d'attacher leurs chevaux devant l'entrée de la maison. Nous en avons trouvé de deux types :
Celui-ci est très sophistiqué : c'est un rouleau de pierre qui se dévide comme une feuille de papier avec un anneau en creux très finement sculpté.
Ceux-ci sont beaucoup plus modestes dans leur conception :
Il devait y avoir des anneaux qui ont disparu depuis bien longtemps....
Nous avons ensuite cherché des "zan", fiches de bois en saillie placées sur le linteau de la porte. Au nombre de 2, il s'agissait d'un petit fonctionnaire, au nombre de 4 un fonctionnaire de rang supérieur.
Dernier détail architectural : l'imposte. C'est la partie supérieure de la porte située entre le linteau et la toiture. Selon le niveau de fortune, elle est soit obturée de planches de bois, soit décorée de tuiles agencées d'agréable façon, soit elle est décorée de panneaux sculptés de riches motifs.
Sur cette photo, bien qu'il s'agisse de la maison d'un petit fonctionnaire (2 zans), l'imposte avait été particulièrement travaillée.
En voici d'autres :
Ci-dessus, le bois a été utilisé mais les motifs ont dû être très riches comme en attestent les restes de couleur.
A gauche et à droite, des rangées de compteurs électriques : de nos jours, une maison traditionnelle est occupée par plusieurs familles là où autrefois vivait une seule famille.
Sur la photo de gauche, imposte modeste mais ravissante et qui a conservé quelques couleurs d'origine.
Ces tuiles ainsi disposées, rappellent les sapèques, anciennes pièces de monnaie qui étaient perforées au centre. C'est l'un des motifs que l'on retrouve le plus souvent.
En milieu d'après-midi, nous sommes tombés sur ce très bel exemple de porte avec marches de pierre d'origine, des pierres de seuil en marbre rondes, 4 aiguilles sur le linteau et..... deux blocs de marbre que le cavalier gravissait pour se mettre en selle facilement.
Mais où est passé le cheval de Papy ??
Dernier détail que l'on peut voir sur certaines portes d'entrée : au moment du Nouvel An chinois, les habitants accrochent les portraits de deux généraux divins, Shentu et Yulei, en espérant qu'ils puissent assurer la sécurité du foyer. C'est une croyance encore très répandue car il y a longtemps ces deux généraux ont exercé leurs forces magiques pour capturer un démon qui terrifiait la population.... c'est ce que raconte l'histoire !
Les arbres aussi respectent une codification particulière. Si dans la plupart des hutongs, l'arbre roi est le sophora, variété d'acacia apprécié pour l'ombre qu'il dispense, dans les cours intérieures des maisons les arbres doivent porter des fruits, de préférence rouges et de forme arrondie, symbole du bonheur et de l'abondance. Vous y verrez donc des jujubiers, des plaqueminiers, des grenadiers et des pommiers. Au détour d'un chemin, nous avons d'ailleurs croisé un immense plaqueminier qui avait perdu toutes ses feuilles mais dont les derniers kakis se détachaient magnifiquement sur le ciel bleu.
Ici, c'est un énorme jujubier qui émerge de la cour centrale de l'habitation.
A des fins de protection, ce sophora, vieux de plus de 300 ans, a été mis en cage !
Si la vie sociale dans les hutongs est très chaleureuse, le manque de place pour les habitants se fait sentir constamment. Plusieurs personnes s'entassent dans des logements inconfortables et de petite superficie. Il est fréquent de voir des entrées comme ci-dessous. Les toits servent également de rangement... Cette poussette d'enfant, typiquement chinoise, a été placée sur le toit en attendant qu'une personne âgée ne la détourne de son utilisation première : elle servira de chariot pour les courses.
Ici, c'est un morceau de trottoir, sur la voie publique, qui a été transformé en potager...
Là, on n'a pas hésité à tendre un fil à linge entre le réverbère et un arbre pour sécher le linge et aérer les couettes...
Tous ces matériaux de récupération ont permis à un amateur de pigeons de construire de bric et de broc un colombier sur la terrasse de sa maison.
Dans le calme de cette fin d'après-midi, un grand-père fume une pipe de style tibétain.
Que restera-t-il de tout ce quartier où les engins s'activent pour construire une nouvelle ligne de métro ? Combien d'années de répit ?? Nous avons déjà vu tellement de hutongs rasés depuis que nous sommes ici.... Mais d'ici là, c'est promis, nous en visiterons d'autres.....